Lundi 11 Janvier 2010
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MA VILLE.
Arielle Schill, architecte, urbaniste, a grandi avec l'apparition du tramway
Pour vivre à l'air libre
Schill à la Bastide : « La rive droite, où tout est encore possible, peut inventer ce Bordeaux à vivre ».(photo: Philippe Taris)
"J'ai toujours eu l'appétit de la ville. À Clermont-Ferrand où je suis née, j'étais fascinée par la modernité et la recherche de la connaissance. J'y suis restée jusqu'à l'âge de 27 ans en pensant qu'elle n'avait pas d'attrait. Voilà une cité, toujours propre, qui a été détruite. Ce qui n'est pas le cas de Bordeaux, certes endormie, mais intacte dans la naphtaline. Lorsque je suis arrivée ici, j'ai découvert un ensemble dans son jus, la subtilité des tons et des intérieurs, des lignes étonnantes, comme si le travail des bâtisseurs avait été au service du paysage, ces hauteurs et ces habillements, un théâtre chargé d'histoire, totalement nouveau pour moi. J'étais dans un univers sombre, avec des poubelles dans la rue, quelque chose du Moyen âge, où tout semblait à faire. Je suis tombée amoureuse d'un appartement du XVIIIe et en même temps de cette intelligence particulière. Je n'avais pas les codes. Je me suis sentie rejetée au début. On m'avait expliqué que c'était comparable à Lyon et qu'il fallait environ quatre ans pour se faire des amis. J'ai mis du temps à comprendre le fonctionnement du lieu, qui ressemble à une alliance entre le business et le plaisir. J'ai compris un mariage de terre et d'eau, une histoire de marins, une ouverture d'esprit venue de tous les horizons.
La frénésie d'avant le tram
C'est Domofrance, avec Jean-Luc Hoguet, qui m'a donné mon premier chantier de rénovation à Saint-Michel. Le décor m'a prise et m'a révélée. J'ai revendiqué une appartenance. J'ai voulu saisir les acteurs, en suivant avidement la politique architecturale. J'ai eu cette ambition de savoir ce qu'était la maison de la famille au début du XXIe siècle. J'ai souvent beaucoup appris à Arc-en-rêve, un vivier de recherches et de connaissances que Bordeaux a la chance d'avoir dans ses murs. Je me suis construite en même temps que la ville nouvelle. En 1996, nous étions dans une ruche. On entendait les gens tailler et réparer la pierre. Les artisans s'affairaient partout. Cela devait être comme ça au XVIIIe, un chantier permanent. Nous vivions une sorte d'ouverture architecturale, de carte blanche. Moi j'ai voulu transposer le XVIIIe sur la construction d'aujourd'hui. Dans cette frénésie d'avant l'arrivée du tram, beaucoup ont d'abord gagné de l'argent. En fait, pendant dix ans je n'ai cessé de photographier la ville qui sortait du cocon. Je l'ai vu naître, en continuant de réfléchir sur la façon de l'habiter aujourd'hui.
La fin du chantier, hélas, a été intenable. Ce fut une rupture entre la période où l'on pouvait tout faire et cette entité nouvelle. Il y a eu une crispation autour d'InCité, missionné dans le centre historique autour du renouvellement de l'habitat. Après dix années de liberté, j'en ai eu assez de ce non-fonctionnement.
J'ai choisi de vivre à Langoiran où j'ai trouvé la paix. J'ai un rapport à la nature et à l'espace. Je suis contemplative. Et je considère que Langoiran est un quartier de Bordeaux dans les vignes. Je réfléchis ici à ce décor où l'homme renoue avec la terre, lui-même et les autres. Aujourd'hui, je reviendrai bien sur la rive droite, mais pas au centre.
Il ne faut évidemment pas toucher à la rive gauche. C'est Florence. Pour toujours. Elle est très belle à regarder et en même temps trop contrainte. Cette ville m'a fait grandir. J'ai maintenant envie de lui redonner ce qu'elle m'a offert. Bordeaux c'est ça : une enveloppe magnifique qui structure, et, aux interstices, un grand patrimoine humain, le fruit d'une culture locale, séculaire, de rencontres. Elle est riche de personnes et j'ai envie de les mettre en lumière. Je crois que la valeur ajoutée de la rive droite est humaine justement, culturelle, artistique, faute de quoi nous serons confrontés à l'échec de la ville-dortoir.
Le village des artistes
Nous avons créé une commission de réflexion « Bâtir pour se bâtir » qui rassemble des gens d'horizons différents. Nous réfléchissons à la création d'un écovillage d'artistes, à créer sur l'agglomération. Il ne s'agit pas d'un village pittoresque, mais de l'outil d'une autre façon de vivre. Je crois beaucoup à ce projet d'envergure, peut-être d'une centaine de logements. J'espère une vie nouvelle d'échanges, avec des appartements individualisés à proximité d'un peu de nature.
L'éco-ville c'est aussi une attitude différente des habitants, un autre visage, plus détendu, de la citoyenneté, dans un espace où l'on ne passe pas son temps à courir les restaurants et les cinémas. On doit pouvoir retrouver une liberté de mouvement, une autre respiration. La Bastide, où tout est encore possible, peut inventer ce Bordeaux à vivre. »
c.seguin@sudouest.com
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